F., 62 ans, artiste, célibaire, 2 enfants

Mon premier souvenir, c’est vers 10, 11 ans, une sensibilité à fleur de peau, d’abord le plaisir d’être nue dans mon lit, ce qui était, dans le milieu familiale, interdit et mal . Donc, la nuit, cachée, quitter mes pyjamas pour le plaisir de la nudité et me caresser. Ce qui au début était sensualité est devenu de plus en plus sexuel.

Sur le plan physique et psychologique la masturbation m’apporte bien sûr du plaisir, un plaisir qui m’appartient. Psychologiquement, c’est aux antipodes de l’angoisse. C’est aussi fondamental pour être vivante que dormir, marcher, voir le soleil se lever.

Habituellement la masturbation me conduit à l’orgasme. L’orgasme n’a pas qu’une forme, une intensité, la montée du plaisir, la durée diffèrent, je dirais même le lieu où on se retrouve est toujours différents.

J’aime prendre mon temps après tout c’est pour le plaisir, Là aussi, il y a des préliminaires comme lorsqu’on fait l’amour. On est maîtresse du jeu. On imagine, on regarde, on se déshabille ou s’habille autrement, on touche, on y pense. Le désir là aussi s’élabore. Mais pour l’orgasme lui-même cela peut varier entre 15 minutes et 30 mn j’imagine, je n’ai pas de montre quand je me masturbe ou je baise.

Les circonstances, la façons de faire, ça a changé énormément au cours de ma vie, d’une fois de temps à autre, selon la situation de plusieurs fois par semaine ou tous les jours. Le plus souvent dans mon lit, ou dans la douche ou dans la rivière. Mais je n’ai pas vraiment de rituel.
Je me déshabille souvent en cours d’action, à mesure que le corps le demande. Je me touche avec mes mains, le sexe, les seins, les fesses, tout le corps c’est tout le corps qui participe. J’aime qu’il fasse chaud pour suer à mesure du plaisir. Une partie de l’action, en plus des jambes écartées qui détaille et caresse qui se ferme pour presser les mains ou le vibro ou le bracelet de grosses billes contre le clitoris ou dans le vagin ou les deux, une partie importante est le souffle et la voix et le cri qui sont partie intégrante et excitante de baiser seule ou avec d’autres.

Ça m’a pris du temps, des années, pour dire à mon amoureux que je m’étais déjà masturbé et que je le faisais encore. Il a bien réagi, il a été surpris que je lui aie caché, et ça m’a donné et nous a donné une plus grande liberté même dans nos ébats amoureux à deux.

J’ai une question qui me reste après avoir répondu à ce questionnaire : ce qui nous mène maintenant, tout à l’heure à se masturber. Qu’est-ce qui allume le désir de cette sexualité personnelle. Par exemple, j’aime beaucoup les shunga, images érotiques japonaises. Je ne les ai pas en tête quand je me masturbe, mais c’est quelque chose qui allume le désir. Voir des images de femmes nues clairement sexuelles ou sensuelle-sexuelle (pas le porno de dure ou bête), plus que celles d’hommes nues. Les hommes nus sont le plus souvent avec des corps parfaits, à la mode, ennuyeux. Les femmes ont été plus souvent montrées au naturel il me semble, je pense aux grosses et très sexy femmes de Jan Saudek. Se ne sont que deux exemples visuels, auxquels on pourrait ajouter, des sons, des odeurs, des goûts, des lieux…Le désir et l’audace du désir féminin pourraient faire partie de votre questionnaire.

Votre questionnaire est agréable parce qu’on y parle de sexe et que c’est encore un terrain miné pour beaucoup de monde. En plus ont est sur la marge en écrivant, ce qui est plaisant, pris entre le plaisir de dire et celui de faire.

Pour compléter sa réponse au questionnaire de Voyages Intérieurs, F. m’a également envoyé un autre texte, qu’elle m’a autorisé à publier ici.
Je vous le retransmets tel quel :

Libido et Résistance

Qu’est-ce qu’une femme fait avec sa vie sexuelle quand elle se retrouve seule, ne renonçant pas. Une femme qui résiste à l’idée de mourir, qui veux garder ce feu au centre du corps.

En réalité étant donnée la situation, mon amant étant malade, j’ai déjà commencé à résister, depuis un bon bout de temps, à ne pas renoncer à ma sexualité. Résister à ne pas laisser mourir ce feu. Je l’ai même entretenu en en faisant le sujet de séries de tableaux. Idée entretenu en lisant, en regardant, en me masturbant, en obsédant ma tête et mon corps entier. Rester une femme chaude, allumée pour rester en vie, pour la joie, la plénitude et même la foi. Oui, la foi, l’orgasme est pour moi la preuve absolu de l’existence de dieu. Je le dit à la fois avec conviction et humour. J’ai souvent dit après avoir fait l’amour, seule ou avec un autre Ouf ! Dieu existe.

Maintenant que je suis seule que faire, puisque mon amant est mort, et que je ne renonce toujours pas. Il me reste cette partie de ma vie sexuelle, la masturbation. Je le fais, de nuit, de jour et cette vie sexuelle solitaire s’élabore, à sa propre histoire, évolue, porte ses propres fantasmes qui ne serait certainement pas les mêmes en interaction avec quelqu’un. Ce qui est le plus excitant, les sons du corps, des mots et le son de ma propre voix, Celle qui apparaît à mesure que le plaisir monte. Les mots qui roulent en s’obsédant eux-mêmes dans ma tête. La mécanique physique est habituellement sans surprise puisque je joue les deux rôles. Il n’y a pas vraiment de deuxième rôle en fait. Je sais comment ça marche, ça c’est une partie triste parce que sans surprise, mais il y a en même temps, le plaisir qui s’élabore, l’angoisse qui s’efface. Je ne pense à personne en particulier, je prends mon temps, je n’imagine pas que je fais l’amour avec quelqu’un. C’est un autre plaisir, d’une autre nature. C’est la peau, la chaleur, le sexe, la vie qui palpite dans chaque muscle qui se tend et s’apaise tout cela qui parle tout à la fois de son propre monde. Tout cela deviens avec le temps de plus en plus abstrait et étrange, mais aussi intense.

Les relations avec les autres, elles ne se jouent pas sur ce plan.  Je n’ai pas de relations sexuelles depuis des mois. Quand je rencontre un homme proche, mon désir s’élabore autour de sa présence d’abord et sa chaleur, se coller auprès de l’humain qui est tout près, le toucher, parler, c’est sensuel et jouissif. De ces hommes, en général, je ne connais pas la vie sexuelle, comment elle s’élabore dans l’amour ou autrement, si toutes fois tout cela existe.

C’est l’animal que je suis et que nous sommes qui désire, qui veut passer à l’acte, qui fonce tête baissée vers le plaisir parce qu’il y a un point où il n’y a que cela qui existe.